Avant la reprise du championnat du monde en Espagne se déroule le traditionnel International Trophy de Silverstone.
Malheureusement, le beau temps n'est pas au rendez-vous lors des essais perturbés par le crachin. De plus, cet événement se déroule parallèlement aux essais des 24 heures du Mans, ce qui contraint certains pilotes comme Chris Amon à effectuer l'aller-retour entre la Sarthe et le Northamptonshire durant le week-end.
Côté engagés, on trouve les deux Lotus officielles, la Matra-Ford de Jackie Stewart, les Brabham, les McLaren, les équipes de Rob Walker, Frank Williams et Tim Parnell, Pete Lovely sur sa Lotus privée, et deux Ferrari 312 confiées à Chris Amon et Derek Bell. Vic Elford conduit une Cooper-Maserati prêtée par Colin Crabbe. Bruce McLaren inaugure son nouveau bolide, la M7C, inspirée de la M10 de Formule 5000. Les BRM sont absentes : le vilebrequin des moteurs à 48 soupapes cause toujours des soucis et Tony Rudd a jugé plus raisonnable de rester à l'usine.
Les qualifications
Stewart obtient la pole position en battant le record de la piste (1'20''9'''). Il devance Brabham (1'21''), Amon dont la Ferrari surprend (1'21''1''') et Ickx (1'22''5'''). Courage décroche une très belle cinquième place pour l'équipe Williams. Siffert est sixième devant McLaren au volant de son nouveau modèle. Les Lotus sont arrivées en retard sur le circuit car le moteur de Hill (10ème) n'était pas prêt. Son équipier Rindt est seulement huitième. Bell est neuvième avec la seconde Ferrari, tandis que le troisième rang est complété par la BRM de Rodríguez. La dernière ligne comprend Lovely, Elford et Hulme qui a rencontré d'importants soucis techniques.
Le Grand Prix
La pluie est au rendez-vous de ce dimanche 30 mars 1969. Jackie Stewart décide en conséquence de remiser sa MS80, qui n'a jamais roulé dans ces conditions, pour monter dans la MS10 avec laquelle il a triomphé au GP d'Allemagne 1968. Cela le contraint cependant à partir depuis l'arrière du peloton. Graham Hill décide lui de retirer les barres stabilisatrices de sa Lotus.
L'averse cesse juste avant le départ mais l'asphalte demeure détrempé. Dans ces conditions, les pneumatiques peuvent évidemment faire la différence. On attend notamment de voir ce que donneront les nouveaux « pneus pluie » Goodyear WG13 installés sur la voiture de Brabham.
Brabham bondit au départ et distance Ickx et Amon. Les pneus Goodyear de l'Australien font merveille et il prend son envol au commandement. Ickx et l'étonnant Courage sont ses poursuivants immédiats, suivis par Siffert et Amon, puis par un peloton comprenant Bell, Hulme, Rindt, Hill, Stewart, McLaren, Rodríguez, Elford et Lovely.
Brabham conduit une belle échappée tandis que dès le troisième tour, Lovely dérape et détruit sa Lotus contre les bottes de paille. Hulme se fraie un chemin dans le paquet : il déborde Bell, puis Amon, puis Siffert. Très instables sur cette patinoire, les Ferrari ne vont pas tarder à décrocher pendant que Stewart grimpe au cinquième rang. Amon finit par regagner son stand pour régler son aileron stabilisateur. Après dix boucles, Brabham précède Ickx (7s.), Courage (11s.), Hulme (21s.) et Stewart (31s.). Cependant Hulme renonce au dix-huitième passage à cause d'une panne de moteur.
La piste s'assèche petit à petit. Un fort vent balaie l'autodrome britannique. Hill regagne le stand Lotus pour faire remonter ses stabilisateurs et perd deux tours dans cette mésaventure. Au contraire, son équipier Rindt passe à l'attaque, et en six tours, double successivement Elford, Siffert, Amon, Bell, Rodríguez et McLaren ! Après vingt tours, le téméraire Autrichien a néanmoins une minute de retard sur Brabham. Mais il ne lui faut que quatre tours pour reprendre vingt secondes à Stewart et le laisser sur place ! Au 26ème tour, il avale Courage et Ickx ! A mi-course, Rindt est second à trente-cinq secondes de Brabham.
L'Australien est cependant averti par son stand de la remontée de son ancien coéquipier. Il appuie sur le champignon et si son avance diminue toujours, c'est dans des proportions acceptables, à savoir quelques dixièmes par tour. Néanmoins après le quarantième passage, l'écart est tombé à dix-huit secondes. Pendant ce temps-là, Courage a rétrogradé après avoir perdu son quatrième rapport de boîte et Stewart a pris l'avantage sur Ickx. Hill gagne des places dans le peloton mais ses deux tours de retard lui interdisent tout espoir de podium.
Rindt ne baisse pas les bras et grignote encore plusieurs secondes à Brabham. Mais à l'abord du cinquante-deuxième et dernier tour, il a encore neuf secondes de retard. Soudain, entre Club et Abbey, Brabham sent que son moteur désamorce... Le V8 redémarre, hoquette, redémarre à nouveau... C'est la panne sèche ! Sur sa lancée, « Old Jack » peut néanmoins atteindre Woodcote et couper la ligne d'arrivée en vainqueur... quatre secondes devant Rindt ! Stewart est troisième devant Ickx sur la seconde Brabham. Courage obtient une cinquième place très méritoire qui satisfait pleinement Frank Williams. McLaren, Hill, Rodríguez, Bell, Amon, Siffert et Elford rallient l'arrivée.
Pour la première fois de la saison, le spectacle a été au rendez-vous en Formule 1. Jack Brabham savoure cette victoire, sa première depuis 1967, et montre qu'à 43 ans il n'est nullement « fini » comme l'insinuaient quelques mauvaises langues. Cependant il peut aussi remercier ses pneus nouveaux pneus Goodyear, bien plus efficaces sur piste humide que les Firestone et les Dunlop. Quant à Jochen Rindt, il a fait preuve d'une virtuosité extraordinaire et reçoit les chaudes félicitations de Colin Chapman. Cette épreuve hors-championnat a démontré que les Lotus et les Brabham sont « dans le coup » et pourront peut-être menacer sérieusement ce diable de Jackie Stewart et sa Matra-Ford.
Disparition de Lucien Bianchi
Hélas, au soir ce 30 mars, les pilotes reçoivent du Mans une bien triste nouvelle. Leur camarade Lucien Bianchi est mort aux cours des essais des 24 heures au volant d'une Alfa Romeo T33. L'Italien naturalisé belge a été victime d'un incident stupide : son capot avant s'est ouvert à haute vitesse. Aveuglé, il a perdu le contrôle de son bolide au bout de la ligne droite de Mulsanne et heurté de plein fouet un poteau télégraphique. L'Alfa a explosé sous l'impact et le malheureux a péri carbonisé. Âgé de 34 ans, Lucien Bianchi était un excellent pilote, très éclectique, aussi bon en monoplace qu'en rallye ou en Endurance. Baroudeur infatigable, il s'est construit un très beau palmarès des deux côtés de l'Atlantique, son apogée étant sa victoire au Mans en 1968 en compagnie de Pedro Rodríguez. Bouleversé, son frère cadet Mauro, lui-même victime d'un grave accident l'année précédente lors de l'épreuve mancelle, annonce son retrait de la compétition automobile.
Ainsi s'achève la belle aventure des frères Bianchi, ces modestes immigrés italiens, fils d'un mécanicien, devenus des vedettes de la course automobile mondiale.
Tony